Vulgariser des concepts scientifiques par l’illustration

En novembre dernier, au passage dans une librairie, trônait le livre de Guillaume Dulude dans la section « meilleurs vendeurs ». C’est tout sourire que j’ai poursuivi mon chemin en me remémorant le parcours presque accidentel qui a mené à ces mots tout simples :

« Illustrations : Stéphanie Dupuis. »

En d’autres circonstances, peut-être que ces trois mots ne provoqueraient pas autant de fébrilité, mais comme je n’ai aucune formation, ni expérience, ni même d’ambition professionnelle en tant qu’artiste visuelle, disons simplement que c’est déstabilisant !

Ça fait quatre ans que je transforme les concepts de Guillaume en dessins pour exprimer visuellement à ma façon les idées et les concepts qu’il enseigne. Parfois, ça leur donne une signification plus personnelle, d’autres fois, ça me permet de voir des possibilités d’exploration de cesdits concepts et, plus rarement, il m’est arrivé d’y découvrir une toute nouvelle idée.

Au fil du temps, mes dessins ludiques sont aussi devenus un mode d’expression pédagogique dans mon travail. Je m’en sers pour résumer une conférence, pour illustrer un processus de gestion de changement ou simplement pour offrir une pause à mes participants dans un atelier. Malgré cela, mes dessins sont demeurés en quelque sorte « privés » et exposés à un public restreint.

Oh ! bien sûr, il m’est arrivé de publier mes illustrations dans des contextes plus sérieux comme des rapports annuels et des présentations vidéo, mais dans ces occasions, chaque trait était alors redessiné, peaufiné et précisé par l’intelligence fine de ma designer et complice, Anne-Marie Charest.

Alors, au printemps, quand Guillaume m’a proposé cette collaboration sur son livre, j’ai eu le vertige. Car, cette fois-ci, je n’allais plus pouvoir me cacher derrière le génie de ma complice.

Mes personnages naïfs allaient être vus par de nombreux lecteurs (que je devinais déjà un immense public !) et se dévoiler n’est jamais un exercice facile dans ce monde dopé à la performance et aux résultats.

L’importance de l’empathie en communication

Dès le départ, Guillaume et moi avons orienté notre travail autour d’un but important et commun : veiller à prendre soin du lecteur en lui proposant des illustrations aux endroits, où nous-mêmes, à la lecture du manuscrit, en avions ressenti le besoin.

Qui plus est, comme plusieurs concepts illustrés sont des sujets sur lesquels on avait déjà échangé et que j’avais dessiné auparavant, afin de bien respecter notre but, il nous fallait être très attentifs à tous les détails. Par exemple :

  • Les traits. L’épaisseur, la forme, la direction, la nuance de couleur (le livre est en noir et blanc). Tout a été soigneusement soupesé.
  • L’emplacement choisi dans le texte. L’illustration est un complément et ne doit pas introduire un nouveau sujet.
  • Le texte, les titres et les légendes. Pour bien soutenir le lecteur et lui faire apprécier encore davantage le résumé proposé par le dessin, il nous est même arrivé de modifier un mot du texte, parce qu’à travers le processus itératif de création, un terme était apparu et semblait plus adéquat et précis.

Les défis de la vulgarisation par l’illustration

La vulgarisation de concepts scientifiques obéit aux mêmes règles que la vulgarisation de données, de statistiques et de chiffres (parfois appelée « dataviz » ou « visualisation de data » en communication).

Illustrer un concept scientifique, c’est ni plus ni moins savoir représenter les éléments essentiels de manière graphique, pour le rendre « saisissable » en un clin d’œil au lecteur. Et, comme tout exercice de synthèse ; c’est un sport de haute voltige.

Un dessin demeure un dessin.

Évidemment, il traduit des éléments bien précis et évoque des ressentis, mais il demeure une simplification. D’où l’importance de choisir avec soin les éléments du dessin : les pépites d’or, comme l’exprime Guillaume.

D’ailleurs, on s’est rapidement rendu compte qu’un seul élément superflu pouvait involontairement détourner l’attention du lecteur vers un thème différent du concept qu’on cherchait à illustrer. Dans ces situations, plutôt que de faciliter la compréhension, le dessin s’avérait à la complexifier et même jusqu’à… contredire le texte !

L’art et la science de la vulgarisation de concepts

Pour arriver à offrir 58 illustrations au lecteur dont nous étions fiers tous les deux [croyez-moi, Guillaume et moi ne sommes pas les plus faciles à contenter 😉 ], j’ai créé plus de 250 croquis, incluant les dessins, schémas, graphiques, titres et légendes. Pour chaque pièce, afin de créer un visuel pédagogique qui soit à la fois pertinent, instructif et simple, on a respecté ces éléments clés :

  • Choisir ce que l’on veut raconter. Il y a toujours plusieurs points de vue à une histoire. La force de l’image est dans la précision.
  • Choisir ce qu’on ne racontera pas. Avec un dessin, on dispose d’une à deux secondes pour raconter notre histoire.
  • Trop, c’est comme pas assez. Les dessins sont au service du lecteur et du texte. Sans valeur ajoutée, le dessin doit disparaitre.
  • Le processus itératif inhérent à la création et l’innovation. Comme Nicolas Boileau l’a si bien exprimé :

Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,

Polissez-le sans cesse et le repolissez.

  • La posture de développement. Dans tout travail créatif, à un moment donné, on va être dans la bouette. À ce moment, on ne s’abandonne pas, on prend soin de soi et de nos partenaires de projet, on accepte les défis, on prend ses responsabilités… Jusqu’à ce qu’on voie clair de nouveau.

Le dernier point s’est avéré particulièrement utile, car le projet des illustrations s’est concrétisé après une chute exceptionnelle en course. Trois côtes cassées, ça complique l’usage des stylets et des neurones!

Les origines de cette technique de communication

Même si l’industrie de la comm attribue au dataviz une étiquette de « nouveauté ». Je suis loin de partager cet avis.

Il est vrai qu’aujourd’hui avec le développement et la démocratisation des technologies, la vulgarisation des concepts et de data prend un nouvel envol, mais cette façon de communiquer n’est pas vraiment neuve. [Comme la plupart des concepts en communication et en marketing d’ailleurs, mais — ça — c’est un tout autre sujet.]

Personnellement, j’y vois un lien direct avec des pratiques millénaires telles que les murales retrouvées dans les grottes préhistoriques. J’y vois également un lien avec une volonté universelle, inscrite dans notre biologie humaine : la capacité d’émerveillement. Cette pulsion délicieuse qui s’empare intérieurement de nous quand on voit « l’or » là où les autres ne voient que des cailloux gris et qui nous pousse « à chercher une personne avec qui vivre ce précieux moment », avec qui partager cet émerveillement.¹

Le vertige et le courage avant la fierté

J’ai toujours cru fermement que les vertiges sont un passage obligé quand on s’attaque à un projet important. C’était donc normal que ma collaboration à la création de ce livre provoque un vertige de qualité. Je dois même avouer que jusqu’à sa sortie en librairie, j’étais habitée de fébrilité, d’excitation et, oui : de peur.

Est-ce que la valeur ajoutée des illustrations allait-être perçue et partagée ?

Heureusement, dès les premières entrevues dans les médias de Guillaume, j’ai su que nous avions relevé le défi. Rachel Chenus chez Indigo l’ai ainsi résumé : « les dessins sont un bon appui pour nous permettent d’accéder à des concepts moins connus. Ça aide vraiment. »²

Finalement, avec le succès grandissant du livre, la fébrilité des premiers jours a ainsi laissé tranquillement place à la fierté du devoir accompli et à la gratitude d’avoir participé à ce livre important.

Pour écouter l’extrait de la conversation entre Guillaume et Rachel à propos des illustrations👇

Pour en apprendre un peu plus sur le projet des illustrations 👇

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1. Dulude, Guillaume (2020). Je suis un chercheur d’or, Les éditions de l’homme. p.39.
2. Extrait vidéo : Entrevue avec Rachel Chenus chez Indigo, 25 novembre 2020.